Mad Max

Publié le par Nours

Mad Max

Je t'ai vu arriver en trombe dans mon rétroviseur. Petit frelon énervé, zigzaguant sur la rocade au milieu des abeilles butinant mollement leur bitume quotidien. La main posée sur le haut du volant, cassée au niveau du poignet, l'épaule tordue tant elle était dictée par la recherche d'une posture de puissance, tel un gorille en période des chaleurs, et non guidée par la volonté d'un équilibre corporel.

Ta voiture... comment dire... une accumulation de caricatures dont la vulgarité était en parfaite harmonie avec ton regard bovin. Des pneus démesurément larges, une carrosserie rouge vif, des pare-chocs discrets comme une strip-teaseuse à l'entrée de Kobane, une antenne de 2m de haut, comme un symbole phallique mal proportionné, et les vitres baissées, déversant un flot de musique dont la platitude rythmique n'avait d'égale que la mélodie binaire, synthétique et abrutissante que l'on peut trouver dans la rangée du bas du rayon musique de la supérette du coin. Techno-transe volume 17 ? Quelque chose dans le style... En tout cas, du volume il y en avait pour cette heure matinale.

Je t'ai d'abord vu insulter cette femme dans son Opel corsa qui ne s'était pas suffisamment serrée dans sa file, puis cette autre voiture qui n'avait pas voulu se rabattre pour te laisser passer, Ô toi, roi de la route. Combien d'autres personnes agressées, insultées ou même mises en danger avant ça...

Collé à mon pare-chocs pour me signifier ta présence et ton désir de rouler plus vite, tu faisais rugir ton moteur de Seat Cordoba en enchaînant des séries d'accélération-freinage à quelques centimètres de ma voiture. Tu as fini par te glisser sur la file de droite, me dépasser et te rabattre devant moi, d'un coup de volant rageur, me frôlant à nouveau. Parce que tu es trop con, tu as encore changé de file à plusieurs reprises, faisant systématiquement le mauvais choix. Et je t'ai dépassé à chaque fois, simplement en suivant la vitesse imprimée par ma file, sans zèle particulier. Et tu as fini par voir en moi l'ennemi, celui qui menaçait ta puissance. Gestes obscènes, menaces (un doigt glissant sur la gorge, ça compte, non ?), appels de phares, te retrouver derrière moi t'était vraiment insupportable. Quand bien même tu n'aurais gagné qu'une place en me doublant, vue la congestion du trafic, j'étais un affront à ta puissance.

Et j'ai fini par apprécier cette situation... et préparer tout doucement mon piège.

Au moment où la circulation est redevenue fluide, je suis resté sur la file de gauche, en accélérant, je l'avoue, au dessus de la limitation de vitesse. Tu fulminais, comme un taureau dans son box, languissant déverser son énergie dans l'arène. Je me suis enfin rabattu sur la droite quand j'en ai eu l'occasion, et t'ai laissé me doubler. Menaces, visage déformé par la colère et la haine, tu es resté plusieurs secondes à mon niveau, avant de faire ton accélération ultime qui devait asseoir ta victoire et libérer ta rage. Et c'est avec une jubilation non contenue que j'ai vu, au loin, la vive lumière d'un flash éclairant l'aube. Tu as freiné... mais trop tard...

Un radar installé la semaine d'avant et dont peu de monde connaissait encore la présence, flashant à 90km/h alors que tu devais être à plus de 140km/h... retrait de permis assuré.

J'ai ri aux larmes pendant 10 kilomètres.

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C
Ca fait très fable de La Fontaine des temps modernes, ton histoire.<br /> <br /> Tu crois qu' à l'heure qu'il est, il y a un rocher quelque part sur la rocade qui porte la forme découpée du pauv' type à la voiture rouge, un peu comme le Coyote quand il se mange le Canyon?
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J
Quel talent pour cette petite histoire de tous les jours que l'on se plaît à relire pour le plaisir !
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B
Merci pour ce racontage. Bravo pour cette réaction et la justesse de ta description.<br /> <br /> Bleck
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P
il paraît que les machos s'affirment en mettant le coude à la fenêtre de la portière en conduisant..mais quand on les découvre, ils n'ont pas la force piquante du frelon..bon dimanche..
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T
Merci de faire ce qu'on a tous un jour rêvé de faire !!!!
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N
La vie me l'a offert sur un plateau. Ceci dit, elle m'a aussi offert ce vieux bonhomme qui m'a coupé la route, qui m'a insulté pendant 20 secondes par la fenêtre en me sortant que j'étais dangereux sur la route sans même réaliser qu'il était en tort, puis est parti sans que je puisse répondre un mot tellement j'étais sidéré. J'en suis encore furax 5 ans après...
B
J'ai adoré cette histoire. Bien raconté. On en a tous connu des petits frelons énervés., mais là, la fin est jouissive.
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N
En Ecosse, je me souviens avoir lu sur des panneaux d'affichages sur des autoroutes : Laissez vous doubler, la frustration cause des accidents.<br /> Je n'ai pas suivi cette voie... mais à moins de renverser une poule avec son vélo, Max n'aura pas été dangereux pendant un petit moment (l'histoire racontée ici date un peu).
N
Merci :-)
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A
Hilarant, bravo !!!<br /> <br /> J'ai partagé sur facebook...
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