Au fil de l'eau
Il avait pris une journée de congés pour profiter des derniers moments de douceur, avant que le brouillard humide d'octobre ne prenne définitivement le pas sur les vents chauds de l'été. Une décision prise au dernier moment, sur un coup de tête, comme il aimait le faire de temps en temps, et qui lui donnait la sensation que ce dilettantisme qu'il avait tant gouté et apprécié lorsqu'il était étudiant lui était encore permis. Je pose des congés au dernier moment pour mettre de l'imprévu dans ma vie, donc je suis, se disait-il. Descartes avait fait plus court mais il trouvait un peu réducteur sa conception de l'être. Ceci dit, il ne savait pas non plus grand chose de Descartes.
Il avait proposé à un ami de faire du vélo le long du canal et ce dernier, disponible, avait accepté. Ils se retrouvaient régulièrement le long de ces berges ombragées pour discuter tranquillement de leurs vies, au rythme lent des péniches paisiblement endormies sur ce lit ridé par la brise. Le vélo n'était qu'un prétexte pour se raconter, évoquer leurs peines de coeur, leurs projets et leurs doutes. Ces discussions étaient à n'en pas douter un moment important pour eux deux, l'occasion de vider leur sac pour l'un, de creuser le problème de l'autre, d'y réfléchir en silence, sans chercher à forcément alimenter coûte que coûte la discussion. Comme si le défilement de la route remplissait harmonieusement les vides. Comme si la route participait à la conversation, stimulait la réflexion et donnait parfois même des débuts de réponse.
Après avoir atteint le centre ville, ils avaient quitté le canal pour s'enfoncer au coeur de la cité, ses grands axes, sa population clairsemée, puis ses rues étroites, fraîches, silencieuses, où seul le bruit des pneus remplissait ces canaux ceints de briques. Un citron pressé pris sur une terrasse pour regarder passer les gens tout en appréciant les parfums mélangés des restaurants du coeur pavé de cette ville, leur ville. L'impression fugace de former un tout avec elle et d'être là où il fallait être, ici et maintenant.
Il reprirent leur vélo, pour s'extraire lentement et à regret de cet œil et traverser les grandes rues, telles des colonnes cycloniques, qui les séparaient de leur chemin de retour, en périphérie de ce monde bruyant, avec ses platanes, ses canards et ses coureurs solitaires. Arrivés chez son ami, ce dernier lui avait proposé de venir manger chez lui mais il avait décliné. C'aurait été un moment agréable, mais il ne voulait pas défigurer ce petit jardin japonais qu'il avait construit doucement dans sa tête tout au long de ces deux heures de balade. Il voulait l'apprécier, le déguster silencieusement encore quelques heures avant que le vent ne se lève et n'efface les traces formées dans le sable.
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