Clarisse

Publié le par Nours

Ils se sont installés à la grande table ronde en face de moi. Une famille de cinq, deux adultes, trois enfants. Deux jeunes garçons et une fille un peu plus grande, d'environ 12 ans. Handicapée.

Manifestement, un handicap moteur compte tenu du fauteuil roulant, même si j'ai pu apercevoir des mouvements des jambes. Un handicap mental, peut être aussi, encore qu'il est assez expéditif de conclure avec certitude simplement pour un regard un peu perdu et parce que des sons ont pris la place des mots... à l'instar de Stephen Hawking. Si cette gamine paraissait blottie dans son monde, la gravité de son visage et l'intensité de son regard étaient la preuve qu'elle était bien là, vivante et alerte.

Elle était pourtant transparente à table, personne ne semblait faire attention à elle, ni ses frères occupés à dessiner, ni ses parents commentant le menu, si ce n'est pour bloquer ses gestes afin qu'elle ne renverse un verre, ne prenne la carte que lisait sa mère ou ne se saisisse d'un couteau. Sans un regard pour elle. La lassitude des parents était palpable, loin de l'attention bienveillante que cette petite fille semblait vouloir provoquer maladroitement et que, témoin silencieux et voyeur, j'espérais pour elle. Pour autant, qui étais-je pour juger ces gens en quelques minutes, des gens quotidiennement confrontés à la difficulté du handicap, quand je peux facilement moi-même manquer de patience lorsque mes filles sont trop remuantes dans un contexte similaire et une situation ô combien différente.

Lorsque le serveur est venu prendre leur commande, cette jolie gamine aux cheveux ondulés et attachés par un catogan l'a regardé fixement dans les yeux comme si elle n'avait jamais rien vu d'aussi beau. Et c'est à cet instant que j'ai essayé de communiquer avec elle. Je me suis mis à lui sourire quand elle croisait mon regard. D'abord furtivement, elle a fini par me regarder plus longuement, observant mes moindres gestes, alors que je finissais mon repas et buvais mon café. Des gestes que j'enrichissais, que je détournais pour les rendre plus drôles ou plus mystérieux. Tout était fait pour aiguiser sa curiosité et alimenter cette lumière qui pétillait au fond de ses yeux. Sa mère qui me tournait le dos et ignorait cette complicité naissante lui a alors demandé de regarder son assiette.

Et c'est à cette occasion que j'ai pu saisir son joli prénom.

Après avoir réglé l'addition et alors que je passais près de leur table, je lui ai fait un grand sourire ainsi qu'un au revoir de la main. J'ai eu alors le privilège de le voir. Le premier de tout le repas, peut être de toute la journée ou même plus... un magnifique sourire qui s'est dessiné sur son visage. Et lorsque, toujours souriante, elle a baissé les yeux telle une adolescente intimidée, j'ai su que nous avions réussi à communiquer et en avions ressenti une grande émotion tous les deux.

Je vous souhaite de croiser un jour le regard de Clarisse et, avec un peu de chance, de la voir sourire.

Commenter cet article